Preuve et perception
III
(Suite)
par
Michael Otte
Institut de Didactique des Mathématiques
Bielefeld, Allemagne
Problème 1
Je prendrai le premier problème dans le livre de
Papert "Jaillissement de l'esprit " (1980, Basic
books, p. 146. Trad. française : 1981, Flammarion,
p.182) :
"Imaginez
donc une ficelle tendue autour de la circonférence
de la Terre, que nous considérons ici comme un
sphère absolument lisse, d'un rayon de six mille
quatre cent quarante kilomètres. Quelqu'un propose
de faire passer cette ficelle sur des poteaux de deux
mètres de haut.
Cette opération implique
évidemment que la ficelle sera plus longue. Toute
la question est de savoir de combien il faut l'allonger.
La plupart de ceux qui ont fait des études
secondaires savent comment trouver la réponse
par un calcul.
Mais avant d'effectuer ce calcul ou de
poursuivre votre lecture, essayez donc de deviner :
quelle longueur de ficelle faudra-t-il en plus ? Environ
seize cents kilomètres ? ou cent soixante ? ou
seize ?"
Papert alors, suggère de considérer une
version analogue mais plus simple de ce problème
:
"Une
excellente règle générale, pour
simplifier les choses, est d'en chercher une version
linéaire. Nous posons donc le problème,
mais pour une 'Terre carrée'."
Augmenter la taille du carré ne change pas
les secteurs en quart de cercle, et donc le
supplément de ficelle nécessaire pour
élever la ficelle au-dessus du sol à la
hauteur h est la même pour une
très petite "Terre carrée" comme pour une
très grande. Le problème est ainsi
résolu. La quantité de ficelle
supplémentaire nécessaire est (2ph).
Papert lui-même affirme que le but de la recherche de
ce problème n'est pas de donner la bonne
réponse, "mais bien plutôt de s'efforcer de
discerner le conflit que doivent soulever les
différentes approches possibles du problème"
(ibid.).
Une version linéaire différente
et, peut être, plus consistante pourrait
être suggérée par
Leibniz :
|
Mais
Papert préfère continuer ainsi :
|
Quoiqu'il en soit, les deux façons d'opérer
peuvent souligner le fait que les idées sous-jacentes
montrent que la taille de la "terre" ne joue pas de
rôle dans la détermination de la
quantité de ficelle supplémentaire
nécessaire. Cela résoud probablement le
problème. Ainsi les deux idées, appelons-les
Cur (idée de courbure) et Lin (idée de
linéarité), apparaissent respectivement
équivalentes pour le problème en
question.
Manipuler le point
vert
|
Mais ces deux idées
apportent plus encore. Commençons par la
version de Leibniz et, pour tout polygone
régulier (carré, octogone, ...),
appelons rayon la plus petite distance de son
centre à son bord. Augmenter le rayon d'un
polygone régulier de h accroit
son périmètre du
périmètre d'un polygone semblable de
rayon h. Ceci est exactement la
linéarité de la fonction
représentée par la forme
géométrique elle-même. Le tout
est la somme de ses parties : si le rayon croit de
x à (x+h), le
périmètre croit de
f(x) à f(x )+f(h).
Ainsi nous avons
f(x+h )=f(x)+f(h) et
f(0)=0. Le périmètre du
polygone est une fonction linéaire de son
rayon.Et le principe de continuité conduit
au même résultat pour le cercle (il
faut se souvenir que Leibniz fut le premier
à employer systématiquement ce
principe). La chose importante est que l'on peut
lire directement ce fait sur les figures
géométriques. Vous pouvez constater
de vos propres yeux que l'agrandissement du
périmètre est
représenté par un polygone de
même forme.
|
Pour suggérer une autre représentation, plus
constructive, d'une fonction linéaire, Leibniz
soulignerait le fait que la forme du polygone n'est pas
changée en mettant la ficelle sur des potaux
disposés autour sur son bord (c'est-à-dire en
augmentant le rayon de h).
et y = f(x) = c.x
Ces deux façons donnent une illustration de
l'idée de conceptualisations fondées sur
des formes (formbased).
Les potentialités de l'idée Cur de Papert
peuvent être seulement appréciée
dès lors que l'on considère l'expression
algébrique y=c.x comme une forme nouvelle et
pertinente. Il en va autrement du cas Leibniz où l'on
obtient une seule et même fonction y=2p.x
pour tous les types de 'Terre' (en fait le
périmètre peut être toute courbe
fermée continue ne se recoupant pas). Le facteur de
proportionalité 1.(2p)
indique le nombre des cercles complets que les poteaux
sous-tendent en suivant la courbe. Ainsi les valeurs
possibles de c seraient (n.(2p) n
étant un entier quelconque) et du caractère
discret de la portée on comprend immédiatement
que de petites déformations de la courbe ne peuvent
pas changer la valeur de c. L'objet
géométrique en question n'est plus une courbe
mais un champ de vecteurs le long d'une courbe. L'entier n
est en général appelé indice de ce
champ de vecteur relativement à la courbe. L'indice
ne changera pas pour autant que les déformations de
la courbe ne passent pas par un zéro du champ de
vecteur.
On pourrait déduire de tout cela
une explication facile à comprendre justifiant le
Théorème du point fixe de Brouwer.
Les deux approches résolvent le problème 1
et de ce point de vue apparaissent équivalentes. Nous
allons maintenant présenter un second problème
pour lequel les idées de Cur et Lin manifesteront
qu'elles ne sont pas équivalentes. Nous prenons ce
problème (un problème à propos de
l'épicycloïde) dans le livre de Robert Davis
"Learning mathematics " (Croom Helm, London 1984,
216pp.).
Problème 2
"Dans un test récent de ETS, une question
porte sur un petit cercle qui roule, sans glisser, sur la
circonférence d'un cercle plus grand (si l'on veut
on pourrait voir là un engrenage). Le rayon du
cercle le plus grand est trois fois celui du plus petit
[...] Combien de fois voit-on le petit cercle
réaliser une révolution complète ?"
Manipuler le point
vert
Bob Davis continue:
"Il semble que les experts raisonnent
essentiellement de la façon suivante : si le rayon
du grand cercle est trois fois celui du petit alors son
périmètre est trois fois plus grand.
'Rouler sans glisser' signifie que les longueurs d'arc
sont égales. Comme la longueur d'un arc s est le
produit du rayon par l'angle au centre, l'angle pour le
petit cercle doit être trois fois celui pour le
cercle plus grand. Mais l'angle pour le grand cercle doit
croitre de 2p ; ainsi l'angle
pour le petit cercle doit augmenter de 3.2p=6p,
et donc le cercle accomplit trois révolutions (ou
'tours', ou 'rotations'). Cette réponse est
fausse."
Manifestement
les experts essaient d'utiliser l'idée Lin.
Considérons alors ce qui résulterait de
l'utilisation de l'idée Cur. On remplace donc le
grand cercle par un quadrilatère. On voit
immédiatement (figure ci-contre) qu'aux quatre coins
le petit cercle tourne sans avancer le long du
périmètre de la plus grand figure. En
remplaçant le grand cercle par ce quadrilatère
nous sommes devenus capables de percevoir la superposition
de deux mouvements distincts du petit cercle. Pour ainsi
dire, le quadrilatère sépare ces deux
mouvements du petit cercle. Comme il tourne de 90
degrés à chacun des quatre coins, on comprend
immédiatement que la réponse correcte doit
être quatre fois !
Un point du petit cercle décrit une
épicycloïde qui a trois "feuilles". C'est ce que
l'idée Lin nous apprend. Bob Davis suggère
aussi que les experts doivent avoir utilisé cette
idée en la mettant mal en oeuvre parce qu'ils ont
négligé la courbure ou plutôt les deux
rotations différentes du petit cercle.
Pour être complet, je présente la solution
proposée par Davis :
Dans la figure [figure suivante], C est
le centre du petit cercle placé dans sa position
de départ. Quelques instants après que le
mouvement ait été engagé, le centre
s'est déplacé en C'. Parce que le mouvement
est réalisé sans glisser, l'arc BA' sur le
petit cercle a la même longueur que l'arc AB sur le
grand cercle. Donc l'angle BC'A' est trois fois l'angle
AOB. Mais dès que nous disposons d'une droite de
référence qui ne tourne pas, PC', qui se
translate pour toujours passer par le centre du petit
cercle, nous voyons aisément que l'angle BC'A'
n'est pas l'angle dont le petit cercle a
tourné.
C'est
en revanche le cas de l'angle PC'A'. Le reste de la
solution relève maintenant de la routine
[...] Le petit cercle réalise exactement
quatre révolutions -- ou "tours", ou "rotations"
[...] Notons que la représentation fausse
est très proche d'être correcte. Si une roue
de bicyclette qui a un périmètre de 87
pouces tourne sans clisser sur un trottoir plat, et
couvre une distance de 3.87=261 pouces, alors la roue
aura effectué exactement trois rotations. On peut
penser que des représentations cognitives de ce
phénomène ont refait surface, ou ont
été construites, par les experts pour
qu'ils se soient tous mis d'accord... sur la
réponse fausse [parce qu'ils ont
utilisé seulement l'idée
Lin].
Comme dans le cas de l'analyse de Papert pour le
problème 1, cette présentation du
problème 2 est très fortement
influencée par la préoccupation traditionnelle
pour les formules. La voie Leibnizienne, en revanche, est
plus attentive au relation structurelles et aux objets
intuitifs.
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